lundi 1 juillet 2013

Prenez en de la graine !

Ce matin, j’ai reçu un mail qui disait ceci : « Salut ! Une amie m’a ramené une graine de Baobab de Madagascar. J’ai beau avoir tout essayé, rien n’y fait, pas de petit Baobab en vue… Comment cela se fait il ? Pourquoi, en revanche, quand je mets des lentilles à germer sur un coton humide, ces petites graines donnent des plantules au bout de quelques jours ? C’est injuste ! »
Aujourd’hui, comme vous aurez pu vous en douter, je vais tenter de répondre à cette question : pourquoi certaines graines germent elles en quelques jours quand d’autres restent tout simplement endormies ?
D’abord, rappelons-nous ce qu’est une graine. D’après l’Encyclopaedia Universalis, la graine correspond à « un organe de dissémination résultant de la transformation d'un ovule : après la fécondation, ou même sans accomplissement d'un processus sexuel (agamospermie), un embryon est formé dans le prothalle femelle (gamétophyte) ; dans un tissu entourant l'embryon, ou dans l'embryon lui-même, des réserves sont accumulées, que celui-ci consommera lors de la germination ; simultanément, les téguments ovulaires se transforment en une carapace mortifiée, plus ou moins dure et imperméable, protégeant l'embryon et les réserves. »
Oulala, que de mots compliqués dans cette définition ! On va reformuler ça de manière plus simple. Mais d’abord, souvenons-nous que nous avons tous, au moins une fois dans notre vie, observé de manière plus ou moins attentive une graine à la loupe. En général, cela se déroule au collège et la graine en question est un haricot coupé en deux… Voici une photo qui va raviver les souvenirs :

Une graine de haricot coupée en deux. Source

 Et pour plus de précisions, voici comment on arrive à la graine, en partant de la fleur, après fécondation :
Transformation de la fleur en fruit. Source
Transformation de la fleur en fruit. Source

D’après ces schémas, la graine est donc un ovule transformé, en général après fécondation (rappelons que la fécondation est l’union d’un gamète mâle et d’un gamète femelle), qui est protégé par le fruit (anciennement le pistil, avant fécondation). Il faut aussi savoir que dans la graine, une fois que les réserves auront été stockées, l’embryon formé après fécondation va cesser de se développer et va être très fortement déshydraté (parfois jusqu’à 95% de déshydratation !). Gardez ça en tête pour la suite.
Or donc, toutes les graines ne vont pas pouvoir germer de la même manière. Mais pourquoi cela ?
Pour qu’une graine germe, il faut qu’elle soit placée dans des conditions optimales de germination. Ainsi, si l’on veut s’amuser à faire germer des lentilles, il suffira de les humidifier et de les placer sur un coton humide… et quelques jours plus tard, on obtiendra une petite pousse verte.
Mais certaines graines ne poussent pas, même si on les arrose. Si elles ne donnent aucun signe d’activité, c’est parce qu’il n’y a pas eu ce que l’on appelle la levée de dormance. La dormance est une « absence de développement d’un bourgeon ou d’une graine malgré les conditions écologiques favorables. » Il s’agit en particulier d’une « stratégie adaptative pour passer la mauvaise saison. » [1]
En clair, même si la graine est disposée dans des conditions idéales de germination, elle ne germera pas, car il n’y aura pas eu un signal préalable déclenchant la germination.
Je m’explique. Prenons par exemple des graines bien connues des enfants des régions tempérées : les marrons, qui sont les graines du Marronnier d’Inde Aesculus hippocastanum .

Quelques marrons. Source

Les marrons sont produits à la fin de l’été et se retrouvent au sol au début de l’automne, où ils vont passer l’hiver enfouis sous les feuilles mortes (s’ils n’ont pas été mangés entre temps par les sangliers ou autres animaux). Ils germeront par la suite au printemps. Cela semble évident… mais pourtant, on ne voit pas de marrons germer avant l’hiver, ce qui semble logique puisque la plantule qui aurait sorti ses feuilles délicates en octobre ne ferait pas long feu en décembre… Quoi que, avec la météo actuelle, on pourrait se poser des questions… mais ceci est un autre sujet !
Eh bien, il existe une explication simple pour que la graine germe au « bon moment », c'est-à-dire après l’hiver : il est nécessaire que la graine ait subi une période de gel, ou tout du moins de froid continu, pour que la dormance soit levée et que la graine puisse germer. Sans cette période de gel, et même si la graine est placée dès l’automne dans des conditions optimales de croissance (redoux soudain, culture sous serre…), elle ne germera pas.
Bien évidement, s’il suffisait uniquement d’appliquer une période de gel pour faire sortir les graines de leur dormance, ça serait beaucoup trop simple… En effet, il existe plusieurs types de dormance.
Certaines graines ne possèdent même pas de phase de dormance : au contact de l’eau, les tissus de la graine vont s’imbiber puis l’embryon va utiliser les réserves pour grandir (une observation flagrante est l’augmentation de la taille de la radicule, qui va percer l’enveloppe de la graine).

Les autres graines sont soumises à une dormance qui peut être de plusieurs types [2] :
1) La dormance physiologique : elle est levée par des écarts de températures prolongés. C’est le cas chez un grand nombre de plantes à fleurs telles que les tomates, l’avoine, ou encore le tabac. C’est aussi le cas pour l’exemple que j’ai précédemment utilisé avec les marrons. Pour « tricher » avec de telles graines, on peut tout simplement les mettre au frigo un certain temps pour simuler l’hiver !
2) La dormance morphologique : cette fois, l’embryon n’est pas complètement fini dans la graine, c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate, même en présence de conditions optimales. L’embryon doit donc continuer à se développer alors même que la graine a été séparée de la plante mère : c’est pour cela que la germination n’est pas immédiate même si la graine est située en conditions idéales.
3) La dormance physique : la graine est protégée par une enveloppe totalement imperméable… et donc l’eau ne peut pas atteindre les tissus internes et ne peut pas réhydrater l’embryon. Sans eau, pas de croissance possible ! Il est donc nécessaire d’avoir une action physique sur la graine pour que celle-ci puisse germer. Par exemple, il faut une abrasion mécanique (les tissus protecteurs de la graine doivent être dégradés par frottements, par broyage…) ou chimique (la graine peut être avalée par un animal et subir un traitement chimique acide dans l’estomac… pour ensuite ressortir de l’autre côté et être prête à germer !)
Bien évidement, il existe des intermédiaires entre ces trois catégories : dormance morpho-physiologique par exemple…

Concernant l’histoire de la graine de Baobab qui ne veut pas germer il est fort possible que la dormance de cette graine n’ait pas été levée. Dans les régions tempérées froides, c’est le froid qui est responsable de la levée de dormance… entre autres facteurs. Mais dans les régions tropicales chaudes, c’est plutôt la chaleur ! En effet, les graines vont avoir tendance à germer lorsqu’il fait le plus frais : une grosse période de chaleur est donc nécessaire pour lever la dormance.
En parlant de lever de dormance, savez vous que grâce à cette protection supplémentaire, on retrouve encore des graines qui ont plus de mille ans… et qui sont encore capables de germer ? C’est le cas des graines de Lotus Nelumbo nucifera, retrouvées dans des sédiments d’un ancien lac de Chine, qui ont été mises à germer… et qui ont poussé ! [3]
Fleur de Lotus Sacré. Source : photo perso
Graines de Lotus. Source

Pour avoir moi-même fait l’expérience, ces graines ne germent que si la protection externe est suffisamment abimée pour que l’eau puisse atteindre l’intérieur de la graine. Il s’agit ici d’une dormance physique, qui ne peut être levée que si la coque est abrasée par une action mécanique. Ainsi, les graines de Lotus retrouvées dans les sédiments ont été abrasées mécaniquement à l’aide de papier de verre pour que l’eau puisse pénétrer à l’intérieur. Rendez vous compte que pendant un millénaire, ces graines sont restées en sommeil en attendant de pouvoir redonner un organisme fonctionnel et complet !
C’est à cette occasion que l’on s’aperçoit que les végétaux nous réservent encore et toujours de nouvelles surprises !

Bibliographie
[1] Introduction à la botanique, G. Ducreux, ed. Belin, 2002
[2] Seed dormancy and the control of germination, W. E. Finch-Savage and G. Leubner-Metzger, New Phytologist (2006) 171:501–523

[3] Exceptional seed longevity and robust growth: ancient sacred Lotus from China, J. Shen-Miller, M.B. Mudgett, J.W. Schopf, S. Clarke, R. Berger, American Journal of Botany (1995) 82:1367-1380   

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